Panneau à la joute poétique
Le panneau à la joute* poétique est un panneau de céramiques* peintes. On peut y voir quatre personnages représentés, qui se détachent sur un fond blanc. Habillés selon la mode iranienne du XVIIᵉ siècle, les personnages sont vêtus de longues robes aux couleurs vives, ainsi que de turbans. Ce dernier était le symbole des rois et des princes. Si on ne peut attribuer de genre aux personnages en fonction de leurs visages, leur tenue permet cependant d’identifier une femme parmi les quatre protagonistes. En effet, celle-ci ne porte pas de turban ni de ceinture plissée, mais un diadème qui tombe en traîne sur son dos, ainsi qu’un vêtement particulier et des bijoux. Les personnages sont installés sur un parterre naturel. La représentation de la nature n’est d’ailleurs pas réaliste. Soulignant le côté onirique et idéal de la composition, les arbres sont peints dans les mêmes couleurs vives que les habits des personnages. Le sol est aussi jonché de feuilles, de fleurs et de fruits soulignant le côté plaisant de la scène.
Les personnages sont visiblement en train de pratiquer des activités de loisirs. Les deux situés au centre du panneau, installés à genoux se livrent à une joute poétique, sorte de combat mené entre les participants qui écrivent et récitent de la poésie, puisqu’ils tiennent un carnet au format horizontal, typique des carnets utilisés pour la poésie, tandis que l’autre tient un morceau de roseau taillé en pointe, appelé qalam, qui sert à écrire. Les deux personnages encadrant la composition assistent à la joute et profitent des mots échangés entre les deux participants.
Le panneau est construit de façon très symétrique, légèrement décentré sur la gauche. Les couleurs par exemple permettent d’établir des correspondances entre les éléments de la composition... L’arrière-plan du panneau est, contrairement au reste de la composition, très sobre, et n’est pas peint. Il ne présente aucun point de fuite, et les figures sont disposées en plans successifs. Le panneau est entièrement encerclé d’un bandeau de carreaux présentant des motifs fleuris et des nuages sur fond bleu. Le panneau reflète le style et les techniques du peintre Reza-a Abassi qui influence une grande partie de la production artistique du XVIIᵉ siècle à Ispahan. Bien que l’on ignore où se trouvait le panneau à l’origine, il a été retrouvé au XIXᵉ siècle dans la salle de réception du “Palais aux quarante colonnes” de Chehel-Sotoun.
Le panneau est constitué de soixante-trois carreaux de céramique peints. L’artiste a utilisé la technique dite de « la ligne noire ». Chaque figure est entourée d’un fin trait noir qui, en plus de délimiter les personnages et chaque chose peinte, permet également que la peinture ne se mélange pas au moment de la cuisson des carreaux.
Dans la représentation des personnages, il est aussi possible de noter l’influence chinoise sur les arts. La Perse se trouve au centre des routes commerciales entre l’Europe et l’Asie, de nombreux produits circulent donc, y compris des objets d’art. Les visages des personnages sont donc représentés très ronds et plats. De plus, les motifs sur les robes aux couleurs vives des personnages et les nuages dans le ciel reprennent les motifs utilisés de façon récurrente dans les représentations chinoises. Sur le plan technique, chaque carreau est recouvert d’une couche de « glaçure »*, une matière proche du verre, réalisée à partir de silice, qui est appliquée sur les carreaux, permettant de les rendre plus résistants et imperméables.
Les personnages représentés sur ce panneau « à la joute poétique » incarnent un idéal de représentation de la société perse du XVIᵉ siècle. Le prince doit, d’une part être un homme public, un chef de guerre, mais doit également cultiver son esprit. Le panneau met ici en valeur la pratique de la littérature ainsi que l’art de la calligraphie. Le cadre naturel dans lequel évoluent les personnages est une représentation du paradis, un lieu idéalisé de relaxation spirituelle et récréative.
La lecture de poèmes est une pratique toujours courante aussi dans l’actuel Iran, où les réunions en plein air, les piques niques dans les jardins publics, sont souvent l'occasion de lectures à haute voix. Les jardins sont donc très importants dans l’histoire de la civilisation perse, et cette tradition a perduré jusqu’à aujourd’hui, puisque l’on peut retrouver, malgré les conditions climatiques souvent peu propices à ce genre d’édifices, de nombreux jardins luxuriants et des plans d’eau.
Ce panneau a pour fonction de montrer les raffinements des princes qui cultivent leur spiritualité. La vertu de ces princes réside dans cette valorisation des arts et du spirituel.
Cartel
Panneau à la joute poétique
16e-17e siècle
Céramique, décor de lignes noires
H. : 1,18 m ; L. : 1,75 m
Musée du Louvre
© RMN - Grand Palais (Musée du Louvre) / Raphaël Chipault
Palais de Chehel Sotoun, dit “pavillon aux quarante colonnes”, Ispahan, Iran, © Arad Mojtahedi